Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Janou(x)
29 décembre 2006

Direct Life

Parfois, les gens me disent que je suis "spéciale", forte ou dure, selon, mais déterminée. Ils pensent que c'est une chance de savoir ce qu'on veut dans la vie.

Bien sur. Le prix à payer pour cette "chance" ne vient à l'idée de personne. Car il y a un prix bien sur.

Je crois parfois que la mienne fut de voir mourir mon grand frère. Aussi de l’avoir vu dans le coma, avec les encéphalogrames plats et les pieds tournés vers l’intérieur, signature de l’inactivité cérébrale, image impossible, inintéligible quand c'est un des tiens; image qui conditionne ta vie, que tu le veuilles ou pas...

Et même si ça à l’air étrange, ce vaccin inoculé pour mes 14 ans fut déterminant dans ma construction


 Le souvenir de l’ecchymose bleue au creux de son bras gauche durant ses 9 jours de coma m’a crié pendant des années : « la dope c’est de la merde », quand mes potes de sorties s’envoyaient buvards, trips, fix et taches, le vaccin opérait.

 Et le jour de l’enterrement l’univers des « adultes », emprise, poids et règles vola en éclats .

 Depuis plusieurs années leurs jugements négatifsl, leurs coups, leur mépris, leurs décisions brutales et illogiques me détruisaient. Je croyais, comme tous les gosses, que c’était ma faute, que je n’était pas « aim-able », pas « bien » .

Même si, sans trop y croire, je soupçonnait mes parents, professeurs, directeurs d’écoles et autres adultes responsables supposés « de confiance », ceux si prompts à donner les ordres et les claques, d’être incompétents, égoïstes et lâches.

 D’un coup la preuve était là, devant moi, dans la boite devant laquelle ils n’osaient pas même jeter un regard.

Dans l’église humide, devant le cercueil de Thierry , au milieu de ses ex-petites amies, à coté de ma satanée famille ou nous étions tout de suite 4, dont 3 qui s’engueulent, entourée de visages connus et inconnus feignant la peine ou mimant le désespoir, une bombe explosa dans ma tête, et je ne sais plus si elle s’appelait colère ou dégoût.

Ce monde peuplé de tricheurs hypocries, dénué de sens, ou les uns souffrent et les autres meurent sans comprendre pourquoi,  "leur" monde n’était pas le mien.

C’était un jeudi de juin, le jour de mon examen de math. Il n'y a pas eu de dispense, ni fleurs, ni couronne, pas même une tombe.


Mais Thierry à vécu avant de mourir, il a amorcé chez moi des process qui tournent toujours.

 

Je n’avait qu’un frère, de 13 ans mon aîné. Autant dire que nos rapports furent durant les premières années quasi inexistants. C’était les années 60, les Golden sixties quoi !

Notre famille habitait la campagne d’une ville de province.
Thierry, interne chez les Cadets pendant la semaine ne rentrait que les week-ends, durant lesquels nous partagions une chambre exigue ou ses jeux d’adolescents s’accommodaient mal de mon insatiable curiosité de gamine totalement insouciante : j’avais plusieurs fois ouvert la porte commune, le temps d’entrevoir d’incompréhensibles ombres gémissantes, avant que mon frère d’un coup pied rageur ne me claque energiquement la porte au nez.

Plus tard, les parents firent agrandir la maison et chacun de nous eu sa chambre.

 

Quelquefois, Thierry déboulait en ébullition totale, un vinyle 33tours à la main, s’allouant la chaîne hi-fi du salon familiale afin de faire notre éducation musicale toute séance tenante.

 

- « Vous DEVEZ écouter ça, c’est génial grandiose.. !!! » et autres superlatifs.

 

 Grâce à lui et à Pink floyd - « Dark side of the moon », j’ai par exemple compris à 8 ans ce que le mot « dolby stéréo » signifiait.
Est-ce Pink Floyd, Joplin ou les EWF, une chose est certaine : La musique est entrée en moi pour toujours comme une révélation renouvelable, une source intarissable.

C’est vrai qu’on était sciés.

 

C’était l’avènement du rock. Hendrickx, Pink Floyd, Alice Cooper s’échappaient à grand coup de décibels de ce qui était à présent la chambre de Thierry. Sa chambre.
Aux murs constellés d’images , petites et grandes, affiches et coupures de presse; montrant tour à tour des soldats morts, des filles pulpeuses, des pilules bizarres, des slogans, des rocks stars et toutes sortent de choses qui me fascinaient et que mes 8 ans ne comprenaient pas vraiment. La statue de la liberté très sexy dévoilant une jarretelle, un fusil brisé par deux mains… L’odeur aussi était particulière. Très masculine et exotique à la fois. Un mélange de transpiration, de parfum, de fumée d’herbe. Les rideaux tirés laissaient une pénombre permanente dans ce qui ressemblait pour moi à la caverne d’Ali Baba. Il y avait des tonnes de disques, sur lesquelles, je l’ai su des années plus tard ; les prénoms féminins annotés au crayon à coté des titres, permettaient à Thierry de savoir quelle fille aimait quoi, afin d’en tirer le meilleur parti (de la fille et du morceau) . Il m’était quasi impossible de pénétrer de ce saint des saints parce que mon frère en gardait jalousement la clef. Quelques rares fois, l’accompagnant ou prétextant un service :

- « tu veux que j’aille chercher tes cigarettes ? »

- « ouais c’est sympa »

J’entrais dans ce temple de la révolution hippie, me sentant presque coupable de n’être ni assez vielle ni assez initiée pour en comprendre les arcanes.

 

La radio des années 70 passait les Beatles et nos parents écoutaient Brassens ou Moustaki. La révolution rock à eu lieu sous nos yeux entre 1960 et 1970. Thierry symbolisait aux miens l’antipode ou la prolongation du monde d’Elvis à papa…mais papa n’avait pas eu droit à Elvis.

v

Mes parents, je les vois comme ces derniers maillons de l’ancien monde. Nés avant la guerre ou pendant celle-ci. Un monde ou les femmes ne votent pas. Où le curé du village fait la pluie et le beau temps. Où le simple mot contraception est tabou. Un monde ou le travail est méritoire comme l’honnêteté.Où les classes sociales sont clairement définies et infranchissables.Un monde de l'industrie, prémisce de la technolgie qui va suivre deux générations plus tard.

A de rares exceptions prêt, beaucoup de nos mères se sont mariées enceintes, croyant qu’elles seraient plus libre avec un maris qu’avec leur famille. Des siècles de romans à l’eau de roses magnifiant les couples romantiques ont pu faire de ces femmes d’éternelles aspirantes à l’amour tandis que souvent leurs époux n’aspiraient qu’à réussir socialement. Je postule qu'ils n’avaient pas les mêmes lectures.

Ma mère n’a pas fait exception. Sur sa robe de mariée, le tailleur à fait quelques retouches et mon frère est né 5 mois plus tard.

 

Comme cadeaux de mariage ils reçurent une jolie nappe en toile cirée et 50 francs. Elle abandonna ses rêves d’hôtesse de l’air et devint puéricultrice dans une crèche.
Sportif, élégant et sans diplôme, mon père travailla à gauche à droite. Ils tiraient le diable par la queue. Les mois passèrent et ma mère fut de nouveau enceinte. Un monde ou l’avortement n’existait pas ou mal. C’est donc sur la table de la cuisine, avec une aiguille à tricoter, qu’elle se fit avorter. Ceci explique pourquoi il y a 13 ans de différence entre la naissance de mon frère et la mienne. Le temps pour l’esprit et le corps de se refaire une santé en passant par le yoga et la macrobiotique.

 

Ma mère devint représentante de commerce pour une marque de vêtement. Puis représentante d’autres marques, prêt-à-porter féminin etc. Souvent sur la route, fatiguée mais plus friquée, plus indépendante, plongée dans ses bouquins ; les féministes arrivent ; toujours moins disponible.

Choisissant la sécurité de l’emploi et parait-il la  planque, mon père s’engagea dans l’armée de réserve. Ils prospérèrent ainsi tranquillement quelques années, construirent une maison, la firent agrandir, reçurent les amis et les amis des amis.

 

Sans oublier les nombreuses petites amies de Thierry, leurs pères furibards traversant la maison en hurlant

-« OU EST MA FILLE ??? »

- « Votre fille, laquelle est-ce ? » Que répondre d’autre ?

 

Et mes copines de classes, pas encore mixtes , que des copines à 9 ans.

A part les voisins d’en faces. Les Manoé.
Deux frères malins comme des singes et méchants comme des teignes. Faut dire que leur père est un gueuleur pas drôle pour qui le mot « communication » ne s’accorde qu’avec gouvernementale. Les gamins sont en mode "profil bas" en permanence. Faut bien qu'ils passent leur nerf sur quelqu'un.
J'ai 4 ans de moins qu'eux et 2 têtes aussi. Mais j’ai une balançoire dans mon jardin et eux pas.
Alors ils se défoulent.
Mon père n’a pas jugé nécessaire de sceller les pieds de la balançoire dans la terre. Donc dès qu’on se balance, la balançoire oscille en se soulevant sur deux pieds, puis retombe dans un lourd fracas. Comme ça me terrifie, les frères Manoés, plus âgés et plus lourds, me font payer en bonbons ou en jolis cailloux le contrepoids qu’ils exercent sur les bars transversales.


Mais, lorsque je suis au sommet du balancement, les pieds dans le ciel bleu et la tête renversée dans le soleil ; les gamins sautent à terre d’un bon! L’ensemble bascule d’un coté, et pendant une éternelle seconde suspendue, c’est comme si le monde entier hésitait entre la destruction bruyante et la poursuite de son oscillation chaotique.

Ces petits jeux de pouvoir amusent énormément mes voisins qui en usent et en abusent, n’hésitant pas à me faire tester les fils barbelés  « pour voir s’ils sont électriques ceux-là » ; les chardons en matelas "pour voir si tu sens quelque chose", les massifs d’orties et autres divertissements champêtres.

Est-on masochiste à 8 ans ?

Non mais on s’emmerde quand on est seul.

 

Puis y a la voisine d’a coté, Anna, qui fait partie de la bande des 4. Elle est sympa et a 4 ans de plus que moi, c’est un peu ma moman, surtout que la mienne bosse comme représentante et rentre tard.

 

 Souvent je soupe chez elle. Les parents d’Anna sont témoins deJehova, version tolérante.

La preuve, ils m’accueillent chaleureusement malgré ma mère qui n’a de cesse de vouloir leurs prêter des livres genres « Jésus ou le secret des Cathares » qu’ils lui rendent avec un air scandalisé et certains qualitatifs dont le sens alors m’échappe.

Sans parler de Thierry qui drague Fabienne, la grande sœur d’Anna, bien que son père lui ai formellement interdit de mettre un pied chez nous.

 

Même en prétextant la télé couleur (fait avant-gardiste en 1969),  aucune dérogation pour entrer dans notre gentilhommière ne sera jamais accordée à Fabienne.

Ouais y avait déjà la télé, mais rien a voir avec aujourd’hui, et rien a voir le samedi matin non plus d’ailleurs.

 

De toute façon, chez nous ça lit. Par exemple, ma mère plongée dans un bouquin illustre parfaitement le mot « autisme », et pour le vérifier il suffit d’arriver avec les genoux ou le nez en sang. Quand à mon père, mon abonnement à Tintin et Spirou fut pour lui l’occasion de créer un « comité de lecture », formule abusive octroyant les premiers éclats de rire aux initiés qui le composent.
Thierry lis des trucs en anglais auxquels je ne pige rien, mais les dessins psychés et multicolores me lancent des flèches visuelles qui atteindront leurs cibles des années plus tard.

Un livre trône sur la cheminée, je vois son titre orange et rouge sur fond noir « Ni dieu ni maître, les anarchistes ». Qui sont ces gens ? Leur programme à l’air bien ...

Publicité
Publicité
Commentaires
Janou(x)
Publicité
Archives
Publicité